[SON] Le processus de création de sens peut être décrit par six étapes dont la dynamique est créatrice de résilience organisationnelle. Nous présentons ces six étapes d'un point de vue théorique à partir des travaux de Weick pour ensuite les envisager de manière plus opérante dans le module suivant. Étape 1 : Équivocité. L'équivocité renvoie à la présence d'interprétations multiples sur les causes possibles d'une même situation. La multiplicité des explications rend cette même situation ambiguë, dans la mesure où plusieurs schémas interprétatifs deviennent possibles. Weick précise que l'ambiguïté et l'équivocité constituent l'évènement stimulant du processus de sense making. S'il n'y a pas d'ambiguïté, l'individu mobilise ses routines et ses habitudes pour traiter la situation à laquelle il fait face, sans remettre en cause ses croyances. Sans solution mémorisée, il est obligé de s'engager dans un processus d'explication et de recherche de solutions nouvelles, créant de fait une dynamique constitutive de sens. Étape 2 : Interactions. Dans les travaux de Weick, l'unité d'analyse est le groupe. Celui-ci constitue un ensemble d'individus projetés dans des séquences d'interactions au cours desquelles ils se construisent une représentation de leur environnement et s'engagent dans des actions. L'interaction, comme moyen de coordination entre individus, constitue alors le matériau d'observation des systèmes d'action organisés. C'est en interagissant que les individus sont en mesure de se construire une représentation des autres, de leur environnement et d'eux-mêmes. Ce jeu de déconstruction individuelle et de reconstruction collective contribue à l'émergence de ce que Weick appelle l'organizing, par lequel les individus sont en mesure de se coordonner et d'agir sur leur environnement. Étape 3 : Enactment. Dans une optique interactionniste, l'environnement ne s'impose pas à un individu, mais c'est ce dernier qui le crée par ses actions en lui attribuant des caractéristiques projetées. C'est ce que Weick appelle l'enactment. Les individus ont tendance à isoler des morceaux d'environnement pour se focaliser sur ces derniers et chercher à les exploiter. Ils donnent du sens en fonction de variables qui conditionnent et légitiment l'intégration et la valorisation des individus au sein d'un groupe. Une fois ces variables identifiées, les individus vont les relier entre elles pour former des cartes causales constituant des schémas interprétatifs qui seront alors mémorisés. Le processus d'enactment est donc une manière de se construire une réalité, un environnement réifié, que nous pensons être objective et indépendante de nous ensuite. Bénédicte Vidaillet explicite ce processus pour les musiciens de la manière suivante. Les musiciens vont ponctuer leur expérience selon sept variables : la crédibilité attribuée au compositeur, l'effort exercé pour jouer, la tolérance à l'erreur, l'attention aux notes, la volonté de réintégrer des notes déviantes, la volonté de suspendre son jugement pendant que l'on joue, et la qualité sonore jugée rétrospectivement. Étape 4 : Communication. Les individus prennent conscience de leur environnement, de leurs idées, de leurs savoirs et de leur action dans des interactions. C'est lors de ces interactions qu'ils se communiquent leur représentation du réel pour permettre une entente sur les actions à entreprendre et les comportements à adopter. Pour cela, ils mobilisent des langages formels et informels qui deviennent des codes identitaires. Étape 5 : Engagement. Dans une masse d'informations étendues et de relations complexes, il est indispensable de simplifier le réel pour se donner les moyens d'agir. De ce fait, l'individu s'attache plus à ce qui lui paraît plausible, envisageable, possible. L'accord ne porte pas sur les finalités communes mais davantage sur les moyens et la capacité de ces moyens communs à réaliser les besoins individuels de chaque membre du collectif. Cet accord de façade, résultant d'une somme de motivations individuelles, se traduit dans des comportements organisationnels de sauvegarde de l'intégrité du groupe et d'engagement individuel. Ainsi, les individus composant un collectif, même s'ils ne partagent pas la même représentation de la situation, peuvent toutefois s'engager dans l'action, dans la mesure où ils peuvent parvenir à un consensus sur les actions à entreprendre. Étape 6 : Bricolage. Les interactions en univers énacté mettent les individus en situation de formulation, de préoccupation, de décision et d'action par les jeux de co-construction dans l'échange. Dans ce mouvement, les individus bricolent et improvisent en proposant des solutions inédites. Un des résultats du bricolage est le petit gain qui donne confiance à l'individu dans sa capacité d'agir et lui permet de dire qu'il est sur la bonne voie. Ces étapes mettent un collectif en situation de créer du sens et de faire émerger des solutions à des contextes imprévus. Ces étapes ont une visée balistique pour solutionner la crise mais sont aussi constitutives d'une capacité que l'on peut nommer résilience organisationnelle. [AUDIO_VIDE]