Une crise est un choc. Le surgissement de l'imprévu surprend, déstabilise, bloque ou fait paniquer. La communication peut-elle permettre d'y faire face? Face à une crise, faut-il mieux se taire ou au contraire, faut-il parler? Tout d'abord, il faut savoir lutter contre deux réflexes. Faire l'autruche, c'est-à -dire mettre la tête dans le sable, se taire, ne rien dire, voire disparaître, car face à un événement grave, le silence n'est pas toujours d'heure. Il peut susciter de l'incompréhension. Les salariés, les actionnaires, l'opinion publique pourront se demander, et pourquoi se taisent-ils, ont-ils quelque chose à cacher? Ils pourront aussi prendre peur et s'interroger, y a-t-il un pilote dans l'avion? En effet, dans une civilisation de l'image et des mots, parler ou se montrer, c'est déjà agir. À l'inverse, se taire et se cacher c'est témoigner d'une forme d'impuissance. Je me souviens par exemple que le soir du 13 novembre 2015, on avait reproché à François Hollande d'avoir attendu minuit pour s'exprimer alors que les attentats avaient commencé en début de soirée. Il faut vraiment être le Général de Gaulle pour se permettre de disparaître en pleine crise de mai 1968 pour aller en secret à Baden-Baden. Deuxième réflexe à éviter, parler trop vite. Parler trop vite ou parler trop fort, car il ne faut pas toujours et absolument communiquer. Parfois, ça ne sert à rien et ça peut même être contre-productif. Je pense notamment à deux cas de figure. Tout d'abord, comme le disait Francis Blanche, quand on n'a rien à dire, on n'est pas obligé de le faire savoir. En effet, si vous n'avez pas d'informations à fournir, de messages à délivrer, rien ne sert de communiquer, car cela pourrait vous faire perdre en crédibilité, notamment si vous êtes démenti par les faits par la suite. On pense par exemple au cas de José MarÃa Aznar, l'ancien Président du gouvernement espagnol, qui avait mis en cause l'ETA, l'organisation terroriste ETA, après l'attentat de mars 2004 alors qu'il s'agissait en réalité d'une autre organisation terroriste, Al-Qaïda. Autre cas de figure, c'est quand il y a un risque d'effet Streisand. Vous connaissez sans doute Barbara Streisand, la célèbre chanteuse et actrice américaine. En 2003, elle a commis l'erreur de poursuivre en justice un photographe qui avait pris des clichés de sa maison, et surtout de le faire savoir. En communiquant sur le sujet, elle avait attiré l'attention des médias. Et tout le monde avait alors cherché à avoir des images de sa maison, c'était l'arroseur arrosé. Voulant éteindre un incendie, elle l'avait en réalité allumé. Conclusion, l'opportunité de communication est toujours la première question à se poser. Mais il faut aussi se demander quand il est utile de communiquer. Pardonnez-moi cette lapalissade, mais il faut communiquer quand on pense que la communication, l'expression publique peut aider à la gestion de la crise, voire à sa résolution. Comment le savoir? Il n'y a malheureusement pas de réponse générale et absolue à cette question, cela dépend de la situation. Cependant, une bonne manière de le savoir est de prendre en compte les trois fonctions possibles de la communication. La première fonction de la communication de crise c'est de donner des informations ou des consignes qui vont conduire ceux à qui elles sont destinées à modifier leur comportement. C'est ce qu'on appelle la communication performative. Les exemples en sont nombreux, l'alerte incendie, qui doit conduire des salariés à sortir d'un immeuble en feu, le panneau de signalisation autoroutier invitant à ralentir, car un grave accident vient d'avoir lieu quelques kilomètres plus loin, etc. On pourrait aussi citer les campagnes d'information de la sécurité routière ou celles invitant à porter des préservatifs. Mais le cas récent le plus spectaculaire en la matière reste l'annonce du premier confinement par le Président de la République le 16 mars 2020. Ce soir-là , le Chef de l'État a demandé aux Français de rester chez eux jusqu'à nouvel ordre et ils l'ont fait de façon scrupuleuse et disciplinée. Conclusion, si vous avez une consigne urgente à donner, il faut communiquer. La deuxième fonction de la communication de crise c'est de rétablir la confiance. Une crise peut en effet porter atteinte à la réputation d'une organisation ou d'un produit, voire à l'autorité d'un dirigeant. Un produit défectueux, une pratique douteuse, un management autoritaire, une erreur de gestion, le doute s'installe. Et si on ne donne pas rapidement des explications sincères et complètes, il ne sera plus possible de rétablir la confiance. Les exemples sont nombreux, de Lactalis au Mediator, en passant par Volkswagen et Orpea, cas d'école spectaculaires que nous venons de suivre. Nous y reviendrons. Mais pour rétablir la confiance, il faut alors à la fois faire preuve de transparence, dire tout ce que l'on sait, tout ce qu'on ne sait pas, et de pédagogie, dire tout ce que l'on a fait, tout ce que l'on va faire pour résoudre la crise, mais aussi ce qu'on n'est pas en mesure de faire, au moins pour l'instant. Conclusion, si la confiance est rompue, ou peut l'être, il faut communiquer. La troisième fonction de la communication de crise c'est l'empathie. Une crise peut porter atteinte à l'affection, à l'amour, à l'attachement que l'on peut avoir pour une marque, une entreprise, une institution. Cet éloignement affectif peut conduire à la colère, à la haine, voire même au boycott. Les dirigeants politiques connaissent bien cette situation, eux qui peuvent se faire remercier par les électeurs à l'issue de leur mandat, ou qui doivent renoncer à une réforme face à l'opposition de la rue. Mais les entreprises peuvent aussi être concernées. Pensons par exemple à un croisiériste après le naufrage d'un de ses bateaux, à un réseau social après des révélations sur l'utilisation des données de ses utilisateurs, à un groupe pétrolier après une marée noire, ou à une marque de pâte à tartiner après la prise de conscience de son lien avec la déforestation en Océanie. Communiquer peut aider à retisser le lien affectif, ce qui passe par exemple par des excuses, des messages de solidarité, mais aussi par l'annonce d'une remise en cause plus profonde qui doit conduire à une évolution du comportement personnel ou des pratiques professionnelles. Conclusion, quand l'affection est menacée, il faut communiquer, informer, recréer la confiance, retisser le lien affectif. Voici trois bonnes raisons pour communiquer en cas de crise. Reste à se demander, pour dire quoi et comment? [AUDIO_VIDE]