[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les variations linguistiques conduisent souvent à la notion de stéréotypes, soit une représentation partagée qui peut être vraie ou fausse et qui détermine en partie notre perception du monde et nos comportements envers autrui. On les appelle aussi des clichés ou des caricatures. On va s'intéresser dans cette vidéo à ces stéréotypes, comment ils se construisent, on en verra quelques exemples et on verra aussi les conséquences qu'ils peuvent avoir Dans ce contexte, nous vous accueillons à l'Université de Genève, aux Bastions, dans la salle Ferdinand de Saussure. Ferdinand de Saussure était le père de la linguistique moderne et il a influencé de manière très forte les travaux en linguistique et en sciences humaines. Rappelons que c'est au niveau de la prononciation, au niveau phonique, et au niveau du vocabulaire, du lexique, que les particularités, les variations sont les plus saillantes. Ce sont ces deux dimensions que nous allons illustrer dans ce qui suit. Nous avons vu précédemment que les normes de prononciation sont dictées par les autorités sociales, politiques et culturelles. Il y a également un aspect supplémentaire qui joue un rôle, celui de l'imaginaire que l'on peut lier à la culture. Comme l'a montré Anne-Marie Houdebine, linguiste française à qui l'on doit la notion d'imaginaire linguistique, qu'elle lie dans un article de 2015 à celle d'imaginaire culturel. Concernant le niveau phonique, je vous propose d'écouter à nouveau Médéric Gasquet-Cyrus dans un épisode du podcast de Binge Audio "Parler comme jamais" nous parler de l'imaginaire lié à l'accent marseillais. Ecoutez. >> L'accent marseillais, il est associé au cinéma, au cinéma de Pagnol, il est associé aux congés payés. Tous les accents du Sud sont liés à un mouvement en fait historique, qui est que les gens, à un moment donné à partir des années 30, sont descendus dans le sud de la France pour les vacances. Donc, le Sud connote les vacances. Et quand on dit aux gens, votre accent me rappelle le cigale, la bouillabaisse, ou alors le cassoulet, selon la région, ça fait référence à cet imaginaire, donc ce n'est pas forcément une volonté de pouvoir, c'est juste que ça renvoie à cette culture populaire, sauf que les gens du sud ne passent pas leur temps à manger du cassoulet ou de la bouillabaisse, ne passent pas leur temps à rigoler sous le soleil, à jouer à la pétanque sous les cigales, même s'ils le font un peu. >> Donc, les accents du sud de la France ont une connotation positive qui renvoie au soleil, aux vacances, le revers de la médaille étant qu'ils ne sont souvent pas pris au sérieux. Rappelez-vous ici ce que nous disait Marie-Arlette Carlotti, ancienne ministre française, un accent marseillais convient mieux pour être comique que pour être ministre. Si les accents du Sud ont une connotation double, les accents des autres régions, ceux du Nord notamment, sont perçus quant à eux uniquement de manière négative. Ils sont souvent jugés comme grotesques. Ecoutez ce que dit Kevin, un jeune Vosgien, qui a fait en sorte de perdre son accent, à propos de l'accent des Vosges. Ecoutez. >> Alors, pour nous, en tant que Vosgien, ça rappelle la terre, ça rappelle le travail manuel, ça rappelle vraiment nos racines, c'est pour ça qu'on est fier. Par contre, pour les autres, c'est vrai que c'est un peu beaufisant entre guillemets. En général, quand on parle avec un accent vosgien, on se dit, lui c'est un beauf, voire pire un consanguin. On l'entend aussi en Alsace ça. >> Les stéréotypes concernant les accents nous montrent bien que personne ne parle sans accent finalement. Parce que des Parisiens qui sont censés représenter la norme, le français sans accent, neutre, dans le Sud, vont être souvent associés à des personnes hautaines, arrogantes, qui parlent pointu. Qu'en est-il des autres régions francophones? On retrouve le même type de stéréotypes avec des connotations plutôt négatives. Il est intéressant de constater que les stéréotypes gomment l'hétérogénéité à l'intérieur d'une région, comme on peut le voir dans la séquence suivante tirée de l'émission de la RTS "52 minutes". Regardez. >> Et puis, il y a les gens qui parlent français chelou, genre les Belges, [BRUIT] les Québécois, [BRUIT], [BRUIT] et bien sûr, les Suisses. >> Il n'y aurait donc qu'un seul accent, belge, suisse ou québécois, ce qui est simpliste et qui ne reflète pas la réalité. On est en Suisse, donc je vous propose de commencer par là et de voir comment et sur quelles bases se construit un stéréotype, une caricature qui concerne l'accent suisse. Regardez. >> Les Suisses ont un accent, et pour la plupart des Français comme moi, l'exemple le plus parfait de cet accent c'est celui qui est utilisé dans l'une des publicités les plus célèbres des années 80, la pub Ovomaltine. >> Salut, j'ai huit secondes pour vous dire que la barre Ovomaltine, c'est de la dynamique. [RIRES] Diététique de l'effort. >> Le monsieur qui rigole dans la publicité, c'est lui. Il s'appelle Michel Elias, il a fait plein d'autres trucs dans sa vie comme par exemple la voie de Pumba dans Le roi Lion, Hakuna Matata, et aujourd'hui encore, à 73 ans, il sait super bien faire la pub Ovomaltine. >> Salut, j'ai huit secondes pour vous dire que la barre Ovomaltine c'est de la dynamique. [RIRES] >> Michel Elias, bonjour. >> Bonjour. >> Vous n'êtes pas Suisse. >> Non. >> D'où est-ce que ça vous est venu cet accent suisse alors? >> Toute une partie de mon enfance, je suis allé faire du ski en Suisse. C'était l'accent des moniteurs de ski et des gens qui s'occupaient de nous, enfants, cet espèce de personnage un peu hilare, "Salut, j'ai huit secondes...", il était content. [RIRES] >> Il y a plusieurs éléments qui ressortent de cet extrait, qui se base sur une publicité des années 80 destinée au marché français. Le premier est l'idée que tous les Suisses parlent de la même manière. Le deuxième, ce qui est qualifié d'exemple le plus parfait d'accent suisse, pour les Français, n'est en fait qu'une imitation faite par un locuteur qui n'est lui-même pas suisse et qui est basée sur ce qu'il a entendu ou cru entendre pendant ses vacances de ski quand il était enfant. On peut poser la question, je pense que la réponse est unanime, aucun Suisse ne se reconnaît dans cette manière de parler, qui combine à la fois des éléments qui, certes, existent dans certaines variétés de français en Suisse romande, notamment concernant la mélodie, mais aussi des traits de locuteurs suisses allemands, donc germanophones et non natifs. Cette combinaison d'éléments n'est représentative en réalité d'aucune région suisse romande. Les stéréotypes n'existent pas seulement pour la prononciation, on les retrouve pour le lexique aussi, donc pour le vocabulaire. Il suffit pour cela de taper "mots suisses" sur n'importe quel moteur de recherche, et vous aurez l'embarras du choix, avec les mêmes travers. Premièrement, certains termes ne sont utilisés dans aucune région de Suisse romande. Ensuite, à nouveau, parler de mot suisse est une surgénéralisation puisque certains termes ne se retrouvent que sur une partie du territoire. C'était l'exemple qu'on avait vu avec "huitante", qui n'est utilisé uniquement dans les cantons de Vaud, du Valais et de Fribourg. D'autres termes ne se cantonnent pas aux frontières territoriales, ils se retrouvent aussi dans d'autres régions françaises avoisinantes. C'est le cas par exemple du mot "doucette", qui désigne un type de salade dont vous voyez la photo s'afficher à l'écran. "Doucette" est utilisé en Suisse romande uniquement dans l'arc jurassien, soit dans les cantons de Neuchâtel, de Berne et du Jura. On le retrouve aussi dans certaines régions françaises avoisinantes où il coexiste avec l'autre terme qui est "mâche". D'autres termes existent également dans d'autres régions francophones autres que les régions françaises avoisinantes. On l'avait vu par exemple avec "septante" et "nonante", qu'on retrouve aussi en Belgique. Pour dépasser les stéréotypes, on peut renvoyer aux travaux de spécialistes. Des études menées dans le domaine des variations lexicales ont en effet abouti à la publication en 2004 du Dictionnaire suisse romand qui a été épuisé à sa sortie en quelques jours, ce qui illustre très bien l'intérêt des Suisses pour leurs particularités lexicales. Est-ce que ces stéréotypes ont des conséquences dans la vie quotidienne? Et si oui, lesquels? Nous allons examiner cette question en nous intéressant à la prononciation des variétés québécoises. Je vous propose d'écouter une anecdote tirée à nouveau de l'épisode du podcast de Binge Audio "Parler comme jamais", sur les accents. Cette anecdote est racontée par Heather Burnett, enseignante chercheuse au CNRS et à l'Université de Paris, qui est anglophone, qui a appris le français très jeune et a ensuite vécu au Canada, aux États-Unis et en France. Écoutez-la. >> Par exemple, il y avait dans mon laboratoire une postdoc qui est donc très parisienne, et j'ai commencé à lui parler de choses administratives parce que moi, je suis la Directrice adjointe de mon laboratoire. Et au lieu de m'écouter, elle fait: "c'est formidable, votre accent, oui ça me rappelle les vacances et tout". Et là , je suis comme, "ben là je suis en train de te parler de quelque chose de sérieux, de linguistique, et aussi je suis comme dans une position de pouvoir sur toi. Qu'est-ce que tu fais?" >> Oui, de pas respecter le contexte professionnel. >> Je trouvais que c'était vraiment très pas respectueux du tout, même si je pense que dans sa tête elle ne voulait pas m'offusquer, elle voulait juste dire à quel point elle aimait le Québec. [RIRES] >> On le voit ici que même si les stéréotypes sont positifs, il s'agit en réalité d'une forme de valorisation qui est réductrice. On réduit la manière de parler à ces clichés, ce qui engendre, comme elle nous l'explique, un manque de prise au sérieux, ce qui peut avoir des conséquences dans la vie professionnelle. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus loin dans ce module. En conclusion, si les stéréotypes sont très souvent utilisés par les humoristes et sont parfois très drôles, ils ont aussi des conséquences importantes dans la vie de tous les jours. On peut donc parfaitement en rire, mais peut-être en faisant preuve d'un certain discernement, en fonction des contextes dans lesquels ils apparaissent. Dans l'activité suivante, nous vous demandons de vous confronter à vos propres stéréotypes sur la prononciation des différentes variétés de français. [MUSIQUE] [MUSIQUE]