[MUSIQUE] [MUSIQUE] La physique des deux infinis, ce n'est pas seulement de la physique fondamentale ; c'est aussi des applications. Certaines sont relativement immédiates, par exemple dans le domaine de l'informatique ou de la physique des matériaux. Mais d'autres, encore en cours de développement, sont plus inattendues et elles exploitent directement les propriétés de certaines des particules élémentaires. Nous allons voir en particulier des applications liées aux neutrinos et aux muons. À chaque seconde, nous sommes traversés par des centaines de milliards de particules. La plupart sont des neutrinos, des particules élémentaires produites essentiellement au cœur du Soleil. Mais pas de panique, car ces neutrinos n'interagissent avec la matière que par le biais de l'interaction faible, qui porte bien son nom. Au cours de toute notre vie, seule une poignée de ces neutrinos va interagir avec un des atomes de notre corps et nous ne les sentirons même pas. Aucun risque donc avec ces neutrinos qui sont pourtant omniprésents. Sur terre, nous savons aussi produire des neutrinos, en particulier dans les centrales nucléaires. Ces centrales produisent de l'énergie en cassant de gros atomes, comme l'uranium, pour produire de l'énergie par fission nucléaire. Ces réactions de fission libèrent énormément d'énergie et elles engendrent beaucoup d'autres atomes fils comme le plutonium. C'est un autre élément lourd qui est produit au cœur de ces réactions et qui est aussi capable de fissionner. C'est un élément très rare qui sert en particulier à fabriquer des bombes atomiques. Ce qui est intéressant, c'est que les réactions de fission libèrent aussi des neutrinos qui s'échappent du réacteur et leur énergie indique la réaction qui les a produits. Si on place un détecteur de neutrinos à l'extérieur de la centrale, on peut notamment en déduire la composition en uranium et en plutonium à l'intérieur. Imaginons que la centrale en question appartienne à un pays qui souhaite fabriquer une bombe atomique. Il va donc devoir sortir une partie du précieux plutonium qu'il produit dans sa centrale. Malgré toutes les précautions qu'il pourra prendre pour le sortir, l'énergie des neutrinos émis par la centrale va changer. Impossible pour lui de passer inaperçu. C'est pour ça aujourd'hui que l'AIEA, l'agence internationale de l'énergie atomique, s'intéresse de très près aux neutrinos et aux moyens de les détecter. En effet, si on installe ce type de détecteur à proximité des centrales, on peut contrôler l'activité nucléaire d'un pays et s'assurer qu'il ne fait que du nucléaire civil et n'essaie pas de détourner le plutonium pour des usages militaires. Plutôt cool, le neutrino! Prenons un autre exemple. Dans les centaines de milliards de particules qui nous traversent, certaines sont beaucoup plus rares que les neutrinos, on les appelle les muons. Si je mets ma main à l'horizontale comme ça, il y a en moyenne un muon par seconde qui la traverse sans aucune difficulté. En fait, un muon peut traverser plusieurs dizaines, voire centaines de mètres de matière avant de s'arrêter. Mais d'où viennent ces muons? Hé bien, d'ici et d'ailleurs. En fait, ils sont produits dans l'atmosphère par des particules très énergétiques qui viennent d'un peu partout dans l'univers. Et heureusement qu'elle est là notre atmosphère, car les plus énergétiques de ces particules ont la même énergie qu'une balle de tennis lancée à 150 kilomètres par heure. La différence évidemment, c'est que toute cette énergie est concentrée sur une seule particule. On se demande d'ailleurs ce qui, dans l'univers, parvient à les lancer avec une telle énergie. Ces particules très énergétiques vont donc interagir avec les atomes de l'atmosphère et produire des gerbes de particules, jusqu'à plusieurs dizaines de milliers. Elles produisent aussi parfois, d'ailleurs, les fameuses aurores polaires dans le ciel. Arrivées à la surface de la terre, ces gerbes peuvent s'étaler sur plusieurs kilomètres de distance et dans ces gerbes, on trouve entre autres ces fameux muons. Mais alors qu'est-ce qu'un muon? Un cousin de l'électron, plus lourd, et qui se désintègre facilement en particules plus légères. Tout comme l'électron, c'est une particule chargée électriquement. Il interagit donc un peu avec la matière grâce à l'interaction électromagnétique. Il va ainsi perdre son énergie petit à petit. Il s'essouffle en quelque sorte et quand il n'a plus d'énergie, hé bien, il s'arrête et il finit par se désintégrer. Ça veut dire que si on regarde un objet avec un détecteur de muons, on peut en déduire des informations sur sa densité et sa répartition de matière. Comment? Imaginons qu'on regarde les muons qui nous arrivent dans une direction donnée après avoir traversé l'objet. Si dans cette direction on observe moins de muons, c'est que certains ont été arrêtés par l'objet, on dit absorbés, et donc que l'objet est dense ou épais dans la direction de visée. À l'inverse, s'il y a un trou ou une cavité dans un objet, moins de muons seront absorbés et donc plus de muons seront détectés. Grâce aux muons, on peut donc voir à l'intérieur des objets. Alors, cette idée intéresse beaucoup les volcanologues par exemple. En effet, ils ont du mal à savoir à quoi ressemble un volcan à l'intérieur et à détecter des mouvements de matière. Depuis quelques années, les volcanologues commencent donc à installer des télescopes à muons sur certains volcans actifs pour mieux comprendre leur structure interne et leur dynamique. Ces télescopes comptent le nombre de muons ayant traversé le volcan dans différentes directions, ils peuvent donc cartographier la densité de matière à l'intérieur. On sera peut-être capable dans quelques années de prédire une éruption volcanique grâce à ces fameux muons. Les muons servent aussi à l'archéologie. Ainsi, on s'interroge depuis plusieurs siècles sur les fameuses pyramides d'Égypte, dont les constructions et la fonction restent un mystère aujourd'hui. Mais avec les muons, on peut justement voir à travers. S'il y a des cavités inconnues, invisibles à l'œil nu, inaccessibles, on doit pouvoir détecter des petits excédents de muons dans les directions correspondantes. Grâce à la collaboration de physiciens et d'égyptologues, on espère que les muons permettront de percer les derniers mystères de ces monuments uniques dans l'histoire de l'humanité. Évidemment, le champ de ce qu'on appelle aujourd'hui la muographie, par analogie avec la photographie qui utilise les photons de la lumière, est en pleine expansion. Plein d'autres applications sont en train de voir le jour, notamment pour l'imagerie de réacteurs nucléaires comme à Fukushima, le génie civil, la surveillance de ponts, de barrages, la prospection des sols, le creusement de tunnels, la recherche de minerais et bien d'autres encore. Autant d'applications passionnantes qu'il faudra développer dans les années à venir et qui illustrent le potentiel de la recherche scientifique pour la société dans son ensemble.