[MUSIQUE] [MUSIQUE] Connaissez-vous les neutrinos? Savez-vous que chaque centimètre carré de la surface de notre corps est traversé à chaque seconde par plus de 65 milliards de neutrinos en provenance du soleil? Ces particules comptent parmi les plus abondantes de notre univers, mais il aura fallu une traque de longue haleine pour les détecter et comprendre leurs caractéristiques sans pour autant percer tous leurs mystères. Les neutrinos sont des particules élementaires du modèle standard de la physique des particules. Ils sont électriquement neutres, d'où leur nom. Neutrino signifie petit neutron en italien. On connaît aujourd'hui trois types de neutrino, électronique, muonique et tauique, chacun associé à un partenaire chargé qui sont l'électron, le muon et le tau. Aucun de ces neutrinos ne peut se désintégrer. Ce sont des particules stables. Les neutrinos ne sont soumis qu'à l'interaction faible, ils interagissent donc très peu avec la matière, et sont extrêmement difficiles à arrêter. Un neutrino du soleil qui traverserait une cible de plomb d'une année-lumière, c'est-à -dire 10 000 milliards de kilomètres d'épaisseur, n'aurait qu'une chance sur deux d'interagir avec cette cible gigantesque. L'hypothèse de l'existence du neutrino remonte à 1930. À l'époque, la communauté des physiciens est confrontée à un problème majeur. La désintégration bêta, c'est-à -dire la transformation radioactive d'un neutron en un proton et un électron ne semble pas respecter le principe de conservation de l'énergie. C'est alors que Wolfgang Pauli postule l'existence d'une particule supplémentaire émise conjointement, extrêmement difficile à détecter et qui emporterait l'énergie manquante, celle du neutrino électronique. Il aura fallu attendre plus de 25 ans entre le postulat d'existence du neutrino et sa découverte par Frederick Reines et Clyde Cowan auprès de la centrale nucléaire de Savannah River aux États-Unis. Cette découverte fut d'ailleurs récompensée par le Prix Nobel de Physique. Les neutrinos sont des particules très abondantes dans notre univers, et en particulier autour de nous. Le flux de neutrinos reçus sur terre en provenance du soleil est d'environ 65 milliards par centimètre carré et par seconde. Mais ce n'est pas tout. Une explosion de supernova, une étoile en fin de vie, libère environ 10 puissance 57, c'est-à -dire 1 000 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de neutrinos en une dizaine de secondes, sans compter que nous vivons en permanence dans un bain de neutrinos datant du Big Bang. Plus près de nous, les centrales nucléaires émettent elles aussi des neutrinos issus des réactions nucléaires. Nous sommes nous-mêmes une source de neutrinos, puisque nous sommes tous radioactifs naturellement. En effet, nous en émettons en permanence quelques milliers par seconde. Détecter des neutrinos n'est pas une mince affaire. Comme ils interagissent très peu, une grande quantité de matière est nécessaire pour les détecter. Un neutrino peut alors s'y manifester par une collision, par exemple avec un électron du détecteur, ou mieux, par une interaction dans laquelle il se transforme en son partenaire chargé suivant son type, électron, muon ou tau. Les neutrinos naissant au cœur du soleil sont de type électronique, car ils sont produits par des réactions de fusions thermonucléaires. Les modèles du soleil permettent d'estimer le flux de neutrinos solaires arrivant sur terre. Or, depuis la fin des années 1960, des expériences observaient un déficit du nombre de neutrinos électroniques par rapport aux prédictions théoriques. C'est cette observation qui a conduit les physiciens à évoquer l'idée d'une oscillation des neutrinos. Ce phénomène est de nature quantique et donc intuitivement très étrange. Grâce à cet effet, une fois émis, un neutrino d'un type donné peut au fil de sa propagation, se transformer en un neutrino d'un autre type. Comme les détecteurs utilisés alors n'étaient sensibles qu'aux seuls neutrinos électroniques, ceux qui avaient oscillé passaient inaperçus et donnaient l'impression d'un déficit. La première indication expérimentale de l'oscillation des neutrinos a été apportée en 1998 par le détecteur Super-Kamiokande situé au Japon. Cette expérience, un gigantesque réservoir d'eau souterrain, bardé de capteurs, étudiait les neutrinos atmosphériques. Ces neutrinos sont produits par l'interaction avec l'atmosphère des rayons cosmiques, c'est-à -dire des particules qui proviennent de l'espace et qui bombardent la Terre en permanence. Dans ces neutrinos atmosphériques, on trouve aussi bien des neutrinos électroniques et des neutrinos muoniques. Pour les neutrinos électroniques, les observations sont en accord avec le flux attendu mais pas pour les neutrinos muoniques qui sont mesurés avec un déficit. Chose importante, ce flux dépend de la direction des neutrinos muoniques. Le flux est plus important s'il provient du zénith que s'il provient des antipodes. On le comprend par l'oscillation des neutrinos. Sur les 10 000 kilomètres qu'ils ont parcouru pour traverser la Terre, les neutrinos muoniques se transforment en partie en neutrinos tauiques, indétectables par l'expérience. En 2001, en utilisant des techniques similaires, le détecteur canadien SNO a observé simultanément les trois types de neutrinos composant le flux solaire et a montré que les modèles solaires prédisent correctement le flux de neutrinos au moment de leur émission. Si on ne détecte qu'une partie des neutrinos électroniques produits, c'est bien parce que ceux-ci se sont transformés en neutrinos muoniques et tauiques au cours de leur voyage jusqu'à la Terre. En 2015, les physiciens Takaaki Kajita et Arthur B. McDonald ont reçu le Prix Nobel de Physique pour leur travail dans les deux expériences Super-Kamiokande et SNO. Le phénomène d'oscillation lève le voile sur les caractéristiques des neutrinos. Il ne peut avoir lieu entre deux types de neutrinos que si ceux-ci ont des masses différentes. Cela prouve donc qu'au moins deux des trois types de neutrinos ont une masse non nulle, et on peut ainsi mesurer les différences de masse entre ces neutrinos. D'autres questions sont en suspens. Ainsi, le neutrino pourrait être sa propre antiparticule, on parle alors de particule de Majorana. Une particule et son antiparticule ont de nombreuses propriétés en commun, notamment la même masse, mais des charges électriques opposées. Parmi les particules élémentaires constituant la matière, seules les neutrinos ont la possibilité d'être leur propre antiparticule puisqu'ils possèdent une charge électrique nulle. Une particule et son antiparticule s'annihilent lorsqu'elles rentrent en contact. Elles sont alors intégralement transformées en énergie et souvent reconverties en une autre paire particule- antiparticule. Pour savoir si le neutrino est sa propre antiparticule, on peut observer le phénomène de double désintégration bêta. Dans ce type de radioactivité, deux neutrons d'un noyau atomique se transforment en protons au même moment en émettant deux électrons et deux antineutrinos. Si neutrino et antineutrino sont deux facettes d'une même particule, alors ceux-ci peuvent s'annihiler mutuellement, ce qui aboutit à une double désintégration bêta sans émission de neutrino. Ainsi, pour étudier la nature du neutrino, de nombreuses expériences recherchent actuellement des réactions sans neutrino. Nous avons donc vu que les neutrinos sont des particules particulièrement difficiles à identifier et à détecter même si elles sont présentes tout autour de nous, en provenance de nombreuses sources. La mesure des paramètres physiques des neutrinos, en particulier par le phénomène quantique des oscillations de neutrinos, est un enjeu majeur pour les prochaines années. Ces paramètres pourraient nous fournir des pistes pour expliquer pourquoi l'antimatière a disparu dans l'univers, alors que matière et antimatière sont supposées avoir été créées en quantité égale lors du Big Bang. La recherche de la double désintégration bêta sans émission de neutrino est aussi un sujet particulièrement actif. Des expériences cherchent également à mesurer directement la masse des neutrinos. On le voit, la physique des neutrinos promet encore de longues années d'études passionnantes. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]